Yuusuke Murata – One-Shot Man

« Aujourd’hui je finirai ce foutu article », me disais-je ce matin. Puis je me rendis compte que j’avais un partiel chaud sa mère le lendemain et que j’avais toutes les chances de le rater si je le bossais pas un maximum. OSEF ? Allez, OSEF alors.

En profitant de l’actu, j’aimerais prendre le temps de parler de mon mangaka préféré du Jump, sinon mon mangaka préféré tout court, j’ai nommé Yuusuke Murata. Tout simplement, je vais faire un petit historique du parcours du gars Murata, en parlant plus en profondeur de chacune de ses œuvres, de Eyeshield 21 (puisque les one-shots qu’il a publié avant ne sont pas trouvables à moins d’importer les numéros du Jump concernés) à One-Punch Man, en passant par toutes ses autres créations moins connues. Mais avant de présenter son histoire et son œuvre, présentons l’homme.

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« Okiro » signifiant « Réveille-toi ! » en jap. Et le mec avec les cheveux pointus et des lunettes, c’est l’avatar de Murata dans ses dessins.

Alors, qu’est-ce qui caractérise Murata, sinon le fait qu’il ressemble à Trunks (l’ex-rédacteur de Gamekult) avec les yeux moins bridés ? Bien entendu, je ne vais pas parler de la couleur de ses slips mais de son style (avec mon vocabulaire de profane, que les spécialistes des beaux-arts me pardonnent). L’homme cite comme influences principales le Dragon Ball de Toriyama et les illustrations de l’excellente Kinu Nishimura (Capcom vs. SNK, 999, VLR…). Son style se caractérise par un amour des détails et de l’action explosive, soutenu par des dessins d’un dynamisme prenant. On peut aussi le gauler facilement grâce à ses tics de character design, que j’aurais du mal à décrire mais que quiconque ayant lu un de ses mangasses saura reconnaître derrière la vitre teintée d’un commissariat. Dernier point notable : Murata est un pur dessinateur, et par là je veux dire qu’il est infoutu d’écrire un scénar décent. En effet, tous ses projets un peu ambitieux ont été réalisés à l’aide d’un scénariste, et quand on voit ce que ça donne quand c’est Murata qui écrit (« mon bras cybernétique retient les radiations nucléaires et mes radiations sont plus puissantes que tes radiations, dtc tarba ! »), on comprend. Voilà qui couvre pas mal ce que je voulais dire, on peut passer à l’historique.

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Allez, avouez qu’y a quelque chose, me laissez pas tout seul là-dessus…

Pour commencer par le commencement, le petit Yuusuke naquit le 4 juillet 1978 (ce qui en fait un cancer, le signe des meilleurs) dans la préfecture de Miyagi, où il n’apprit pas le kung-fu sous la guidance d’un maître du même nom. À l’âge de 12 ans, le jeune Murata ne pouvait pas réécrire un concerto à la note près après l’avoir entendu une fois, mais il arriva tout de même à être sélectionné deux fois pour des concours de dessin organisés par Capcom demandant de concevoir des Robot Masters pour la série Mega Man. Ces deux faits permirent à ses parents de déterminer que ce serait plus intelligent d’en faire un dessinateur qu’un violoniste, et il en fut ainsi.

C’est en 1995 qu’il entre dans la grande famille du Jump avec un one-shot de 31 pages nommé Partner, qui lui permet de remporter le prix Hop☆Step, un prix servant de porte d’entrée au Jump pour les auteurs, et qu’ont remporté avant lui des mangaka tels que Togashi (Hunter x Hunter), Watsuki (Rurouni Kenshin), Oda (One Piece) et tant d’autres. S’ensuit, en 1998, la publication d’un one-shot comique de 15 pages nommé Samui Hanashi (Histoire naze en français approximatif) qui lui vaudra de remporter le prix Akatsuka, du nom du célèbre auteur de mangasses comiques, et qui est donc l’équivalent du prix Tezuka pour les histoires drôles. Notez que c’est avec ce one-shot qu’il parvient à être enfin publié dans un vrai numéro du Jump pour la première fois, Partner ayant été publié dans un numéro hors-série. Son prochain one-shot, nommé Kaitou Colt (de 19 pages, celui-ci), ne sortira qu’en 2002, mais ce n’est pas pour autant que le gars Murata se tourne les pouces, puisque c’est durant cette période qu’il travailla comme assistant pour Takeshi Obata, sur Hikaru no Go. Il retirera de son expérience avec le maître des chips plein de trucs super qui influenceront son style… J’imagine. En effet, les trois premiers one-shots de Murata ne sont disponibles nulle-part, et cela restera le cas jusqu’à ce que quelqu’un retrouve en même temps ces vieux numéros du Jump et son scanner, ou alors jusqu’à ce que la Shueisha propose de publier les one-shots de Murata sous forme de tankoubon, mais autant il y a de la matière, autant il faudra sans doute encore attendre pas mal d’années pour ça. Je serais donc bien incapable de vous en dire plus sur ces trois œuvres, mais heureusement on en est en 2002 et là il commence à y avoir des trucs que je connais.

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Dust Man (MM4) et Crystal Man (MM5), les Robot Masters conçus par Murata.

Puisque c’est toujours en 2002, seulement deux semaines après la sortie de Kaitou Colt, que sort le fruit de l’association de Murata avec Riichiro Inagaki, un scénariste de mangasse. Le nom du bébé ? Eyeshield 21. Pour info, Inagaki est un mangaka qui est plutôt à ranger du côté des one-hit wonders, aucun de ses autres travaux n’ayant vraiment marché à ma connaissance. On peut tout de même le remercier pour avoir demandé à ce que ce soit un autre qui dessine son idée pour Eyeshield 21, puisque le one-shot leur permettra d’obtenir tous deux leur première sérialisation et de percer ainsi. D’ailleurs, je dis one-shot, mais le terme n’est qu’à moitié juste puisqu’il a en fait été publié en deux parties avec une semaine d’écart entre les deux. Qu’importe, ce premier jet est un succès, à eux la sérialisation, l’argent et le pouvoir. « On va pouvoir niquer, Yuusuke, on va pouvoir niquer ! », disait même Inagaki à l’époque.

Je vais parler du scénar du one-shot en partant du principe que vous connaissez Eyeshield 21, donc si ce n’est pas le cas, allez lire le prochain paragraphe avant de lire la suite pour un meilleur confort de lecture. Le one-shot, donc, nous présente la rencontre de Sena avec l’équipe des Devil Bats, composée uniquement de Hiruma et Kurita, puis le match qui les confronte à une équipe ressemblant à la première qu’ils affrontent dans le manga (les Cupids, avec leurs meufs et leur quarterback à mèche). En l’occurrence l’enjeu y est différent : si les Devil Bats se font mettre plus de 100 points d’écart, ils devront se raser la tête, mais si ils marquent le moindre point, ce seront leurs adversaires qui se retrouveront avec la boule à zéro. Quand le match commence, Sena est chez lui en train de jouer aux jeux vidéo, mais il sort quand il se rend compte que le nouveau DraQue sort ce jour. Il passe devant le lycée au bon moment, et vous imaginez la suite. En l’occurrence, le match met bien plus l’accent sur la stratégie et d’autres trucs qu’on ne voit pas trop dans le premier match du manga. Bien entendu, c’est tout de même moins bon que le mangasse sur un grand nombre de points, donc passons-y directement.

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Le chara-design a quand même bieeeen évolué entre le pilote et la série. Merci mon dieu.

Alors, Eyeshield 21, par où commencer ? Eh bien par le début, tiens. Le fameux manga de football américain de Murata et Inagaki nous y introduit Sena Kobayakawa, un ado bas de taille et faible d’esprit, qui depuis sa plus tendre enfance tend à se faire bolosser derrière le gymnase quotidiennement par des délinquants au regard bien zehef qui lui demandent d’aller leur acheter à manger et à boire au pas de course. À cause de ce traitement qu’il endure depuis des années, Sena a acquis une vitesse de course phénoménale, doublée d’une capacité à contrôler sa trajectoire avec grande précision. Le manga s’ouvre sur la première journée au lycée de Sena. Son amie d’enfance, qui s’appelle Mamori et qui a un peu trop tendance à le materner (en même temps y’a le caractère pour « grande sœur » dans son nom de famille et son prénom peut vouloir dire « protection », donc normal), lui dit de bien prendre soin de lui et de surtout, surtout, éviter à tout prix le démon du lycée Deimon, un certain Youichi Hiruma, que sa réputation d’enflure précède. Évidemment, c’est pas de bol, Hiruma remarque dès le premier jour Sena et sa vitesse, et ne tardera pas à essayer de l’embrigader de façon plus ou moins diplomatique dans le club de football américain, soit l’équipe des Demon Bats, dont seuls Hiruma et un gros bonhomme au grand cœur nommé Kurita sont membres. D’abord extrêmement réticent quand il est pour la première fois invité à rejoindre l’équipe, Sena se lie d’amitié avec Kurita et découvre peu à peu les attraits et les subtilités de ce sport, jusqu’à accepter de rejoindre le terrain, casque sur la tête. Ne souhaitant pas laisser Mamori, qui le surveille de près, découvrir qu’il a décidé de pratiquer ce sport dangereux (puisqu’elle pourrait l’en empêcher si elle savait), il se pare d’un casque avec une visière teintée permettant d’éviter qu’on le reconnaisse. Puisqu’il porte le numéro 21, il sera donc Eyeshield 21.

Voilà le pitch de base de ce manga sportif, qui n’est finalement pas fondamentalement différent d’un autre manga du même genre. Mais ce n’est pas grave, car presque tout ce qu’Eyeshield 21 fait, il le fait avec brio. J’ai rapidement feuilleté le premier tome pour me rafraîchir la mémoire pour cet article, et j’ai été directement pris de l’envie de me relire le manga dans son intégralité. Les personnages hauts en couleurs, les pages à la mise en scène folle, l’humour, cette action sublimée par le trait d’un Murata déjà capable de faire des folies… J’ai parlé des personnages, et c’est vrai que c’est important dans un manga de sport : les protagonistes principaux sont tous remarquables à leur façon (qui ne se souvient pas d’Hiruma, de ses armes et de ses insultes ?), tandis que les adversaires sont souvent d’un charisme fou, une multitude d’entre eux étant mémorables ainsi que leurs équipes, souvent assez typées (souvenez-vous des cow-boys, des américains, des chevaliers blancs, etc.). Qui plus est, le football américain n’est pas forcément un sport qui parle beaucoup aux jeunes français, et pourtant le manga fait un excellent travail pour nous vendre le sport et nous en expliquer les règles et les subtilités en détail sans nous assommer.

Évidemment, il a été adapté en anime entre 2005 et 2005 par le studio Gallop qui en réalisa 145 épisodes, et c’est par là que je l’ai découvert il y a environ six ans sur Game One (à l’époque où il y passait autre chose que Naruto). Ma mémoire déficiente m’empêcherait de vous dire si l’anime était bien (il me semble qu’il n’était pas aussi bien rythmé que le manga), mais de toute façon cet article est uniquement dédié aux créations de Murata le mangaka, et pas aux produits dérivés. Pour conclure je n’aurais qu’une chose à dire à quiconque n’a pas encore lu Eyeshield 21 : « Lisez-le ou je vous bute ! YA-HA ! ».

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En 2005 il lâche un court one-shot nommé Jump Super Stars: Fushigi no Kuni no Sena!?, servant à faire la promotion du bien connu jeu de combat DS. On y voit Sena qui se retrouve transporté dans un monde étrange (d’où le sous-titre, « Sena au Pays des Merveilles ») où il rencontre, dans le désordre, Son Goku, Naruto, Luffy, Bobobo et Aya Toujou de Ichigo 100%. Ils y unissent leurs forces pour affronter les robots du méchant Docteur Mashirito (dont vous reconnaîtrez le visage si vous connaissez votre Toriyama, entre autres, ou si vous avez lu Bakuman.). Le scénar est très classique et peu intéressant, comme on pourrait s’y attendre, mais je trouve assez intéressante la fidélité avec laquelle Murata parvient à capturer les styles des autres mangaka cultes du Jump pour dessiner leurs personnages respectifs (sauf Luffy, qui est le moins réussi). Une petite curiosité pour les fans du Jump, donc. Et pour les fans d’Eyeshield 21, on a le droit à une scène avec Sena qui zigzague comme à son habitude entre les obstacles.

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Notez aussi qu’il lâchera en 2006 une petite page cross-over de Eyeshield sur le recueil Chou Kochikame, qui rassemble lui-même un nombre gargantuesque de mangaka pour rendre hommage au manga au long court du Jump, mais Google ne m’ayant pas retrouvé ladite page, il faudra faire travailler votre imagination pour la voir.

En 2008, probablement pour préparer l’avenir, il publie un one-shot dans Jump SQ nommé Madofuki Park, qui nous raconte une journée de la vie de Park, laveur de vitres. En voilà une profession qu’elle est pas banale, pour un protagoniste de mangasse. Cela dit, il est pas laveur de vitres à New York ou même à Montparnasse : il est laveur de vitres dans le tur-fu, et c’est tout de même un peu plus classe. Doté d’un sens de l’équilibre hors du commun, il saute donc de support précaire en support mouvant pour se déplacer dans dans cette ville à la Le Cinquième Élément, avec ses innombrables voitures volantes passant entre des gratte-ciels dont on ne voit pas le bas. Park vit de petites arnaques (à base de lavage de vitres de voitures bombardées par des pigeons dressés) et d’un petit boulot, pour payer pour le traitement de son grand-père, qui l’a élevé seul. Comme je l’ai dit, Murata ne sait pas écrire une histoire, et ça se voit : on a du potentiel qui se retrouve gâché par une petite histoire clichée, sans enjeux réels et dans laquelle il ne se passe finalement pas grand-chose. Mais si il confirme dans ce one-shot qu’il n’est pas un bon scénariste, Murata confirme aussi que c’est un putain de dessinateur. Dans Madofuki Park, ses pages débordent de détails, d’activité et de vie, et le tout se paye même le luxe de commencer par huit pages couleur. Tous les véhicules futuristes sont dessinés avec une minutie incroyable, Park se déplace comme un singe dans cette jungle de métal (oh la belle phrase toute faite) avec l’aide du style très dynamique de Murata, bref, le tout est un bonbon à la fraise graphique et ça me fait kiffer. En somme, le fond est naze, mais la forme est une pépite.

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Toujours en 2008, quelque mois plus tard, alors qu’Eyeshield 21 n’est pas encore fini, Murata se décide à faire une petite série semi-comique semi-documentaire sur l’art et la manière de faire du manga, featuring Murata himself en tant que personnage principal, qui sera publiée de façon mensuelle dans le Jump jusqu’à 2010. Ça s’appelle Hetappi Manga Kenkyuujo R, et ça a été compilé dans un seul tome qui n’est jamais sorti du Japon, aussi bien officiellement qu’officieusement, donc difficile d’en parler. Je sais juste qu’il s’intéresse moins à la vie et à la carrière d’un mangaka, comme un certain Bakuman., et plus à l’art et la manière de faire du manga (les outils, comment dessiner, etc.). Il fera aussi intervenir d’autres mangaka en tant qu’invités, comme Yuusei Matsui (Majin Tantei Nougami Neuro, Ansatsu Kyoushitsu) et Mitsutoshi Shimabukuro (responsable de Toriko). C’est potentiellement intéressant, mais en l’occurrence, à part les premières pages qu’on peut en voir sur le amazon japonais, il n’y a pas grand-chose que je puisse commenter. Pour me faire pardonner, je vais lâcher une petite anecdote : le concept peu original du manga comme son titre sont inspirés d’un manga de Toriyama nommé Toriyama Akira no Hetappi Manga Kenkyuusho, où Toriyama vous apprend comment gagner des millions en dessinant les mêmes personnages en boucle depuis trente ans. The more you know.

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On arrive en 2009, Eyeshield 21 court toujours et Murata sort un nouveau one-shot d’une cinquantaine de pages, nommé Blust!, dans le numéro combo 22-23 du Jump. C’est un shonen assez classique et finalement assez peu intéressant, pour la bonne raison que Murata est là encore au scénario, et que décidément ça ne marche pas. Un petit pitch pour la route ? Allez. Blust est un jeune agent secret japonais qui s’est retrouvé capturé comme un con par une sorte de junte militaire Indienne, qui lui a fait jouer les cobayes et à se faire implanter des bras bioniques absorbant les radiations nucléaires. Un tsunami défonce la base qui le tient captif, il s’en sort par miracle et est sauvé par des rebelles. Des années plus tard, il retourne là-bas en mission pour les rebelles et affronte le commandant qui était responsable de son traitement quand il était là-bas. Celui-ci aussi à des bras bionico-nucléaires, et ils se battent, et à la fin, je veux pas spoiler, mais il y en a un qui gagne. C’est donc franchement très basique au niveau scénaristique. Il y a quelques détails rigolos (genre, pour se recharger, Blust doit manger du curry, puisque ses implants viennent d’Inde, lol stéréotypes), mais c’est globalement plus qu’oubliable. Restent les dessins de Murata, à leur niveau habituel, qui font que ça vaut tout de même un coup d’œil, mais en l’occurrence il n’y a pas de scènes ou de décors exceptionnels qui le rendent particulièrement intéressant. Dispensable, donc.

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On avance les aiguilles de notre machine à remonter le temps et on arrive à peu près un an plus tard pour la sortie d’un nouveau one-shot, nommé Minds (selon les scanlateurs, même si à mon avis le titre est plutôt « Mines »). On y suit une petite troupe de militaires, et notamment le sergent Kai, qui est connu pour être un casse-cou sans égal, qui prend toujours le poste le plus dangereux pour chaque mission assignée à son unité et qui fait le beau à chaque fois qu’il rentre à la base en un morceau. Mais est-il vraiment juste un peu con ou alors est-ce que c’est qu’il essaye de protéger ses hommes ? C’est l’intrigue de ce one-shot au scénario un peu moins indigent que ce à quoi Murata en solo a pu nous habituer, même si ça ne reste pas mémorable. Une fois de plus, l’intérêt est plus dans la forme que le fond, même si en l’occurrence ce one-shot n’est pas très très ambitieux. On en retiendra surtout la scène finale, très classe et bien amenée, avant de passer à la suite.

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Puis, quelques mois plus tard (à l’automne 2010), dans le Jump Square, commence la nouvelle série de Murata, réalisée en collaboration avec Yasuo Ootagaki, un autre mangaka qui dessine depuis 2000 une série nommée Moonlight Mile. En l’occurrence, Murata est aux dessins et Ootagaki au scénario pour ce qui sera une courte série de même pas dix chapitres : Donten Prism Solar Car. Toutefois ne vous y méprenez pas, deux volumes pour un total de neuf chapitres suffisent amplement à développer l’intrigue, les personnages, et à créer quelque chose d’intéressant (d’autant que c’est dans le Jump Square, un mensuel, donc c’est plutôt du 40 pages que du 20 pages le chapitre). C’est un manga bien inhabituel, pour plusieurs raisons. Déjà, son thème : DPSC parle d’un projet de création de voiture solaire. On y suit le jeune Shota Kaneda, qui a perdu son père, quand il avait dix ans, dans un accident de la circulation. Hormis les séquelles psychologiques (le garçon est devenu complètement hostile aux voitures), cet accident a eu des retombées économiques évidentes. La mère dut aller travailler dans une auberge traditionnelle pour financer tout ce beau monde, et une fois sorti du lycée, Shota a dû commencer à travailler à l’usine de son oncle dans l’espoir de se payer des études universitaires. Déjà pas super sociable à la base, Shota se renferme sur lui-même en voyant des jeunes de son âge tout à fait insouciants alors que lui doit alterner entre ses petits boulots ne serait-ce que pour avoir la chance d’aller à l’université. Tout ça ne s’améliore pas quand son oncle (qui lui fournit un endroit ou vivre) loue une partie de son local à un groupe d’étudiants désirant créer une voiture solaire pour participer à une course, et se retrouve contraint par la crise à réduire son nombre d’heures. Les étudiants en question espèrent recevoir des conseils ou de l’aide de la part de Shota pour tout ce qui concerne la partie soudure et métaux (puisque c’était son job). Forcément, il risque d’y avoir des étincelles. L’autre raison pour laquelle le manga est inhabituel, c’est que c’est la première fois que Murata se retrouve à faire un manga tout ce qu’il y a de plus réaliste. Pas de combats, pas de sports où les joueurs courent plus vite que des voitures, pas de villes futuristes. Ça ne l’empêche pas de faire un travail de toute beauté sur les décors et la dépiction des émotions des personnages. Ensuite, du point de vue scénario, tout n’est pas parfait (j’ai été notamment assez déçu de voir que les problèmes de Shota se sont retrouvés résolus sans trop de mal et que finalement monter en voiture, en fait, ça va, tranquille), mais Murata rend une très bonne copie pour un manga court mais qui sait être poignant par moments et toujours intéressant.

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DPSC se finit en juin 2011, et à partir de là, c’est le drame, car Murata rencontre un certain ONE, et les deux se retrouveront unis à la vie à la mort. Je ne sais pas qui fait la meuf dans le couple, mais le fait est qu’à partir de là, les deux seront inséparables ou presque (puisque ONE continue à dessiner Mob Psycho 100 seul, un manga dont je reparlerai bientôt). Leur premier enfant, sortant dans le Young Jump, sera un court one-shot comique nommé Dotou no Yuushatachi. On y découvre l’union du style de Murata  et de l’humour de ONE, qui aime bien détourner des genres et des clichés, puisqu’on y trouve le roi du royaume de quelque part (c’est son nom) qui se fait capturer sa fille, une immonde princesse, par un seigneur démoniaque, et le capitaine de la garde qui va devoir tenter de trouver le héros légendaire pour l’envoyer démonter le démon et sauver la princesse. C’est court, c’est rigolo, c’est très joli (encore une fois, gros travail sur les décors et les détails), pas de quoi se réveiller la nuit mais c’est sympa, et annonciateur de très bonnes choses.

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Vous voyez bien que j’ai pas menti. C’est le royaume de quelque part et pis c’est tout.

Et trois mois plus tard sort un autre one-shot, dans le Miracle Jump celui-ci, et toujours avec Murata aux crayons et ONE au clavier : c’est Dangan Tenshi Fanclub, et ça raconte l’histoire d’une classe de lycéens où tous les mecs sont fans d’une fille de leur classe, une blonde un peu mystérieuse qui a un secret : c’est une sorte de magical girl qui combat le mal à grands coups d’artillerie lourde. La mascotte qui lui a offert ses pouvoirs lui interdit toutefois de révéler son identité aux gens normaux (ce qu’elle ne kiffe pas trop), sans savoir que les mecs de la classe sont toujours pas loin derrière, en train d’admirer en secret ses exploits. Le manga s’ouvre sur l’arrivée dans cette classe d’un nouveau lycéen qui va donner un coup de pied dans la fourmilière. Ce qui s’ensuit est franchement hilarant (en plus d’être très bien dessiné, mais je commence à en avoir marre de répéter ça à chaque fois), et je vous incite à aller le découvrir au plus vite.

Peut-être vous attendiez-vous à retrouver un manga en particulier en cliquant sur cet article ? Si c’est le cas, vous pouvez arrêter de scroller puisque je vais tout avouer et parler enfin de One-Punch Man, dont l’anime n’a de cesse de grandir en popularité depuis le début de sa diffusion, et dont je suis un gros gros fan depuis un peu plus d’un an. Pour ça, on va devoir faire un petit détour par la case ONE. ONE, donc, est un auteur de manga qui s’est illustré en 2011 en commençant à publier sur son blog un webcomic nommé One-Punch Man, qui grandit très vite en popularité pour atteindre presque 8 millions de vues en juin 2012. Pour que vous vous imaginiez un peu la chose, le style graphique de ONE, c’est pas mal du gribouillis (le dessin des personnages fait parfois penser à ce que serait le style d’un Taiyou Matsumoto ivre mort, par exemple). Le gars s’améliore tout de même, d’autant qu’il arrive à se faire sérialiser en 2012 dans la version en ligne du Shonen Sunday avec Mob Psycho 100, tout en conservant ce style brouillon finalement très attachant, et en se montrant capable de dessiner des scènes assez cool. Cette version est franchement bien, même si elle ne m’a pas fait tant rire que ça (il faut dire que je l’ai lue après avoir lu, puis vu en anime, le OPM de Murata, donc au bout de la troisième fois les blagues perdent un peu en fraicheur). Qui plus est, le scénario y avance de façon assez rythmée (là où la version de Murata prend des longueurs, surtout ces derniers temps) et nous offre parfois des réflexions assez intéressantes sur ce qu’est un héros, ce genre de choses. Mais attendez, pourquoi je parle de deux versions et puis c’est quoi, One-Punch Man ? J’y viens.

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Ça c’est la version de ONE, hein.

J’ai au paragraphe précédent évoqué une date, juin 2012. Ce n’est pas anodin puisque c’est à ce moment qu’a commencé la publication du remake de One-Punch Man par le duo ONE / Murata, dans le Tonari no Young Jump. Eh oui, car si le webcomic en lui-même très sympa, son style graphique désuet l’empêche de déployer tout son potentiel. Mais parlons enfin du scénario. Dans OPM, le monde est sans cesse sous la menace de monstres horribles et menaçants, ravageant les villes à la façon de n’importe quels méchants de tokusatsu. Heureusement, il y réside aussi un certain Saitama, un chômeur chauve et sans charisme, et qui fait héros dans son temps libre, comme un hobby. Le truc, c’est que ce bonhomme au look aussi has-been que son nom, il est capable de détruire n’importe quel ennemi en un coup de poing. Ainsi, l’enthousiasme de départ de Saitama se retrouve bien vite remplacé par un profond ennui. Si aucun ennemi n’est un problème, si il n’y a pas de challenge, quel intérêt présente la victoire ? Évidemment, si le manga ne se concentrait que sur ce héros sans motivation, on aurait vite fait le tour, mais bien vite Saitama sera rejoint par Genos, un cyborg luttant pour la justice, qui jouera le rôle du protagoniste plus classique de shonen de baston (il se fait battre, il fait de son mieux, etc.), et l’univers du manga se développera à partir de là. On y découvrira une multitude de héros et de monstres, dont le génialissime Mumen Rider (le cycliste sans licence pour la justice). Il est important de noter une chose : cette version de One-Punch Man est magnifique. Murata y enchaîne les moments de bravoure et va jusqu’à presque animer des scènes à la main en en faisant des doubles-pages se suivant et créant l’illusion du mouvement façon folioscope (ou flipbook, en anglais). C’est quelque chose qui est rendu possible par le support initial du manga, puisque le Tonari no Young Jump est une publication hebdomadaire en ligne, ce qui fait que la transition en tankoubon (les tomes reliés, donc) peut demander bien du travail. Hormis l’action portée par le coup de crayon de Murata, OPM se distingue aussi par son humour, qui rend vraiment très bien dans cette version, soutenu et appuyé par le contraste entre le style détaillé de Murata et le côté parfois un peu bébête et juvénile des blagues de ONE (qui sont tout de même très bonnes, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit). Comme je l’ai dit précédemment, cette version prend quelques longueurs, puisque là où le webcomic avait déjà commencé l’arc, le manga est toujours bloqué dans l’introduction de cet arc depuis un bon paquet de chapitres. Pour moi, chaque chapitre est un régal donc j’ai du mal à m’en plaindre, et puis on sait que ONE est aux commandes niveau scénario, donc je suis sûr qu’il retombera sur ses pattes, la question étant plutôt : est-ce qu’ils vont partir dans une autre direction ou se remettre sur les rails posés par le webcomic. L’avenir nous le dira. Il n’empêche que si vous n’avez pas lu le manga, je ne peux pas vous recommander assez le manga (oui, même si vous avez déjà vu la par ailleurs très bonne adaptation de chez Madhouse) qui représente à mes yeux la cristallisation du talent de dessinateur de Murata et l’un de mes plus gros coups de cœur de 2014. La hype n’est pas toujours de bon conseil, mais pour une fois elle a raison, alors écoutez-la et lisez le manga.

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Et là j’ai enfin l’occasion de m’éloigner des lieux communs wikipédiens et mangaupdatesques de la bio de Murata, puisque j’ai découvert récemment et tout à fait par hasard un fait intéressant : Murata a formé en 2013 un cercle doujinshi conjointement avec ONE, nommé ONEBUKURO. Et que fait ce cercle, à part traiter ONE de sac ? Rien qui ne soit 18+, je vous rassure. En effet, si Murata est un excellent dessinateur, rien ne nous dit qu’il dessine bien les bites, ce qui signifierait que vous, moi et la rédaction de Gamekult soyons supérieurs à Murata en dessin au moins dans un département. C’est une satisfaction. Le cercle a donc produit une série de deux doujins nommés Legend is Hon, un autre nommé Mangaka Yashoku Kenkyuusho (signifiant « Institut de recherche des snacks nocturnes pour mangaka », attention allusion), et puis une série de trois doujins tournant autour de OPM nommés OTHER ONE-BUKURO. Comme d’habitude, tout ça est dessiné par Murata et écrit par ONE, mais il reste un autre doujin intéressant dans les cartons du cercle, un certain Chikyuu no Kaijuu. Encore une fois, c’est écrit par ONE, mais c’est dessiné par ONE, Murata, et… Kinu Nishimura ! Eh oui, l’idole de Murata et des gens qui ont bon goût a participé au dessin de ce beau bébé de presque cent pages. Et comme malheureusement aucuns de ces doujins n’ont été scannées (normal, si y’a pas de bites, ça n’intéresse personne), je serais bien incapable de vous en parler, et c’est pas faute d’avoir tenté de me le procurer. Mais comme le paquet contenant ma copie de Chikyuu no Kaijuu est toujours bloqué dans l’enfer du SAL, ça sera une prochaine fois.

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J’avais oublié d’en parler donc voici un petit paragraphe rajouté discrètement pour signaler que Murata a bossé avec la Toei vite fait en 2014. Deux preuves de ce fait : il est mentionné comme chara-designer pour la série Majin Bone, et il s’excuse lui-même du retard qu’il a pris dans son travail à cause de ça dans le volume 7 de OPM. La nature de leur collaboration n’est pas très claire mais il dit que le but était d’améliorer ses compétences.

Comme disait feu le poète Desproges, le temps qui m’est imparti touche à sa femme, mais comme le destin fait bien les choses, il s’avère que je n’ai plus qu’un manga à vous présenter, et c’est encore un one-shot. Celui-là s’appelle Gokiburi Buster, et est encore une fois écrit par ONE et dessiné par vous-savez-qui (indice : ce n’est pas Voldemort). Dans l’univers de Gokiburi Buster, l’humanité est confrontée à une menace de tous les instants, les cafards. Non non, pas les fameux cafards de Terra Formars, que les poètes de chez /a/ aiment à appeler les niggaroaches. Là on parle de cafards qui ont la taille de cafards. Bref, l’humanité est menacée, et du coup on forme une unité d’élite luttant contre les cafards, comprenant des experts armés jusqu’aux dents et prêts à en découdre. Le reste est hilarant et je ne vous ferai pas le desservice de vous en dire plus.

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Et nous voici enfin arrivés au bout de cet article au long cours, en gestation depuis quelques semaines, et qui, je l’espère, vous aura donné envie de vous intéresser d’un peu plus près aux œuvres de monsieur Murata, que ça soient ses nombreux one-shots ou ses séries, si vous ne les avez pas déjà toutes lues. Je pense avoir dit tout ce que je pouvais bien dire de pertinent au sujet du style du monsieur, et si je doute lui avoir rendu justice, j’espère au moins avoir pu communiquer mon enthousiasme. Dernière chose à noter, le monsieur est dans l’ère du temps puisque non seulement il a un compte Twitter (comme la plupart des mangaka de nos jours) où il commente notamment chaque semaine en live les épisodes de One-Punch Man en même temps que ses fans, mais il a aussi une chaîne UStream, où il répond aux questions des gens du chat tout en dessinant sereinement ses planches de OPM (vous pouvez aussi y voir les vidéos précédentes, si vous êtes inscrit), ce qui est assez fascinant à suivre, même quand comme moi vous ne savez reconnaître que des bribes de japonais.

Sur ce, gardez la pêche, et la semaine prochaine nous parlerons de l’importance des retours à la ligne dans des articles de plus de 5000 mots.

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